H. Ennaifer & M. Borrmans : L’avenir du dialogue islamo-chrétien
H. Ennaifer & M. Borrmans : L’avenir du
dialogue islamo-chrétien
L’Avenir du dialogue islamo-chrétien(مستقبل الحوار الإسلامي-المسيحي),
écrit par Dr. Hmida Ennaïfer et le père Maurice Borrmans est publié en arabe
par Dar Al-Fikr (collection : Dialogues pour un siècle nouveau), Damas,
Syrie, 2005.
L’ouvrage comprend deux
parties. La première, la plus longue, est consacrée aux réflexions des deux
auteurs. Quant à la seconde, elle comprend leurs commentaires et réactions
respectives sur le point de vue de « l’autre » exprimé dans la première
partie.
Dr. Hmida Ennaïfer
a choisi de diviser son intervention intitulée « Le dialogue
Islamo-chrétien pour un discours religieux contemporain » en trois
chapitres : Le premier est consacré au « Dialogue ou aptitude des
musulmans aujourd’hui » ; le second, s’est intéressé à l’étude de
la question du « Non dialogue et la violence des élites ».
Quand au troisième et dernier, il est relatif à « Jésus dans le
discours coranique à travers une lecture pour le dialogue ».
L’auteur a essayé à travers
son premier chapitre de répondre à la question :
« Pourquoi faut-il un dialogue entre les musulmans et les chrétiens
aujourd’hui ? ». Poser cette question est intimement lié, dans
l’esprit de l’auteur, à plusieurs difficultés qui entravent la participation de
la partie musulmane, notamment. Il faut remarquer que les musulmans n’étaient
pas, souvent, des initiateurs du dialogue. Ils se contentaient plutôt de
répondre aux appels chrétiens, plus particulièrement à ceux de l’Église
catholique.
Pourquoi donc les musulmans ne sont pas « d’humeur pour le
dialogue », pour emprunter l’expression de Hans KÜNG ? Dr. Ennaïfer part
à la quête de la réponse en insistant sur plusieurs éléments : Certaines
lectures compréhensives chrétiennes ne marginalisent pas le facteur historique
et civilisationnel. Car, le dialogue du côté chrétien, a été précédé par cinq
cent ans de préparation. De surcroît, le grand danger qui menace l’engagement
et la réussite du dialogue (du côté musulman) - selon l’auteur - est cette
banalisation terrible des approches relatives aux différences mais aussi aux
convergences et croisements dans les relations islamo-chrétiennes.
Le dialogue qui, vu de l’extérieur, n’est qu’une simple relation nouée avec
l’autre, a, en réalité, une signification beaucoup plus profonde. Grâce au
dialogue, le musulman serait capable d’approfondir sa relation avec soi afin
« d’acquérir des matériaux critiques indispensable pour la production des
valeurs spirituelles et matérielles adéquates et adaptées ». À ce niveau,
l’auteur estime que l’origine du problème remonte aux troubles qui
caractérisent le rapport des musulmans au discours coranique lui-même (il donne
l’exemple de certains versets mecquois qui manifestent une contradiction
apparente : certains font l’éloge des chrétiens. D’autres, au contraire,
les critiquent et incitent les musulmans à se méfier d’eux...
Pourtant, Dr Ennaïfer critique avec ferveur l’une des lectures qui ne voient
dans ces versets qu’un rejet total du dialogue au motif qu’elle a un caractère
confessionnel institutionnel !
Il rappelle, en revanche, une autre lecture qui ne voit dans les critiques et
les mises en garde de ces versets qu’une exception au principe de l’ouverture
et du dialogue.
Cette critique s’inscrit en réalité dans un cadre plus vaste qui
rejette toute lecture idéaliste de l’histoire islamique et de l’avenir de cette
religion à travers une formulation idéologique (ainsi par exemple la tendance à
critiquer certains versets au détriment de certains autres..). De plus, le
Coran lui-même n’est en aucun cas négationniste à l’égard des différences, au
contraire il insiste sur le fait que la bienfaisance est la base de toute
relation entre musulmans et autres croyants (sourates : La table servie,
versets 48 et 69 ; La vache, verset 62, etc.). D’ailleurs, l’exemple de
certains chrétiens qui ont cohabités paisiblement avec des musulmans durant le
siècle passé (à l’instar de Charles de Foucauld ou Louis Massignon notamment),
est un modèle précieux de dialogue et de coexistence, surtout qu’elle s’est
faite sans aucune atteinte à la conviction chrétienne.
Dans « Le non dialogue
et la violence des élites » (Chapitre II), l’auteur
critique fermement la tendance d’exclusion chez certains intellectuels qui
réduisent le dynamisme culturel dans le conflit entre tradition et modernité. Cette
manière de voir a débouché sur la construction d’un discours violent qui tend à
la réalisation d’une unité sociale et culturelle à travers la répression au
lieu de répondre à ce qu’il appelle « le dynamisme de la
concordance ». La dualité entre le leadership politique et la mission
religieuse dans la région du Maghreb en est l’exemple typique. Ainsi, le
résultat d’une telle conception d’exclusion a aboutit à une tendance défensive
qui rejette tout dialogue avec sa propre histoire et avec l’autre. De là vient
ce que Dr Ennaïfer appelle « le glissement dangereux » qui s’est
reproduit au sein de l’identité même a mené plusieurs musulmans à parler au nom
de l’Islam comme s’ils étaient son porte parole officiel sans aucune réflexion.
À ce niveau précis apparaît le Groupe de recherche islamo-chrétien (GRIC) comme
une expérience exceptionnelle et efficace. En effet, ce groupe s’est engagé
pour le dialogue depuis sa fondation en 1977 en adoptant deux éléments
fondamentaux : La foi d’une part et l’esprit critique d’autre part. De
surcroît, il a toujours tenté de dépasser les simples déclarations de dialogue
et de réconciliation entre les religions, pour affronter l’éparpillement dans
les rencontres méditerranéennes ainsi que les discours parallèles pour proposer
avec audace des thèmes complexes et délicats. L’auteur reprend l’opinion de
Robert Caspar (l’un des fondateurs du groupe) selon laquelle les obstacles
confessionnels chez les musulmans méritent la compréhension de la partie
chrétienne. D’ailleurs les réflexions des chrétiens - eux-mêmes - sur le livre
sacré « a évolué à la lumière de plusieurs étapes. Quoi qu’il en soit
des divergences profondes relatives à la révélation qui marqueront toujours les
conceptions des deux parties ».
Certes, la conception profonde du dialogue (du GRIC), exempte de tout
extrémisme contribue sérieusement, à travers la publication de ses travaux dans
les milieux intellectuels arabes, à une révision religieuse et historique
précieuses. De même, elle aide les deux parties à enrichir l’échange et le
dialogue sans porter aucune atteinte à l’authenticité des deux expériences
religieuses.
Dr. Ennaïfer consacre son
troisième et dernier chapitre à la « personnalité du christ
dans le discours coranique ». D’abord, il attire l’attention sur le
fait que les études islamiques de la deuxième moitié du vingtième siècle ne
contiennent aucune nouveauté à ce sujet. Ceci à l’exception près de quelques
travaux artistiques et littéraires. Tel est le cas de certains poètes qui
reprennent le symbole de la croix ou le sens de la délivrance que représente le
Christ (Ainsi les poètes : Mahmoud Darwich, Samih Al-Qâssim, Badr Chaker
Al-Sayab, Abdel Wahab Al-Bayati ; le romancier Najib Mahfoud...). Le sujet
du Christ est intimement lié, à son avis, à la pensée religieuse islamique dans
sa relation avec l’autre. Il est dangereux « parce qu’il touche des
questions confessionnelles qui n’ont pas été au jour d’aujourd’hui foncièrement
révisées ». Il cite à titre d’exemple : la question de la prophétie
et de la révélation ; la langue du Coran et l’histoire ;
particularisme, universalité et la signification de la chari’â...Puis il cite
plusieurs versets relatifs à Jésus, à son nom le Christ ou à son surnom :
fils de Marie (33 fois). Aussi, il a été cité 14 fois en se référant à ses
caractéristiques spécifiques. L’auteur détermine trois niveaux selon lesquels
le Christ a été mentionné dans le Coran :
1- Apparition du Christ sur
le plan historique direct
2- Naissance, miracles et
mort du Christ
3- Mention des prophètes
antérieurs au Christ et leur représentation -avec lui- comme un cheminement
introductif à l’apparition de la mission (prophétique) finale. Dr. Ennaïfer
aboutit à une reconstruction fine et fiable de la personnalité du Christ en se
basant sur une présence linguistique et signification dense du
« mot » et du « dit » relatif à ce personnage dans le
Coran. La personnalité du Christ est fondamentale dans le Coran et ce, dans le
cadre de la continuité historique du monothéisme. De surcroît, la crucifixion
n’est pas exempte de signification religieuse ou spirituelle malgré le fait que
le Coran admet l’élévation du Christ et non sa crucifixion (Al-Imran 3, 55)
sens qui trouve un écho d’ailleurs dans l’évangile de Jean (6:3-18 :
l’élévation au sens du salut face aux ennemis).
Le père Maurice
Borrmans a choisi l’interrogation suivante comme titre à ses
réflexions : « Le dialogue entre musulmans et chrétiens a-t-il de
nouvelles perspectives afin de consolider l’entente et la réconciliation entre
eux ? ». L’auteur commence par insister sur les bienfaits du
dialogue qui entraînent un changement profond dans la mentalité des
interlocuteurs dans le sens d’une lecture renouvelée des notions de l’identité
religieuse et du respect de la multiplicité spirituelle. Il rappelle, à ce
niveau, le parcours du dialogue entre musulmans et chrétiens depuis quarante
ans et le rôle pionnier de l’Institut Pontifical pour le dialogue
islamo-chrétien, le Conseil des Églises à Genève, l’Institut d’études
islamo-chrétiennes rattaché à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth, etc.
Néanmoins, l’auteur ne manque pas de mettre l’accent sur l’aspect trop officiel
ou superficiel qui a souvent marqué les travaux et les tables rondes de ces
différentes institutions, sans oublier le problème des préjugés mutuels qui a
entravé pendant longtemps l’avancée du dialogue. Le groupe de recherches
islamo-chrétien (GRIC) apparaît, cependant, comme un véritable cadre
intellectuel, sérieux et spécialisé qui ne cesse de contribuer à travers ses
différents travaux à enrichir le dialogue.
Aussi, l’auteur évoque certaines difficultés sérieuses qui entravent la
continuation et la réussite du dialogue actuel, tels que le problème des
interdits alimentaires ou les interdictions juridiques des mariages mixtes
entre une musulmane et un non musulman, notamment. Toutefois, ses propos
relatifs aux droits de chaque partie de fixer ces interdits demeurent ambigus
et très discutables...
Dans la deuxième
partie de l’ouvrage, Dr Ennaïfer a commenté les propos du père
Borrmans en insistant sur certains points intéressants. En fait, les réflexions
de ce dernier s’inscrivent dans la philosophie des pères blancs depuis la
fondation, c’est-à-dire le maintien du mouvement d’évangélisation. Or, elles la
dépassent puisqu’elles sont conscientes de ce que les circonstances historiques
exigent, car il convient de réviser le rôle et le mode de fonctionnement du
mouvement. Ceci dit, Dr Ennaïfer critique la démarche du père Borrmans qui n’a
pas suffisamment approfondi l’articulation entre la tendance évangéliste d’une
part et l’ouverture franche sur les musulmans (sans que celle-ci entrave le
dialogue) d’autre part. La raison de cette critique tient au fait que la
majeure partie des musulmans voit d’un mauvais œil la question de
l’évangélisation. Dans le même ordre d’idées, le commentateur estime que la méfiance
des musulmans ne s’explique pas par des raisons purement religieuses
puisqu’elle se fonde aussi sur la tendance de certains évangélistes qui
exploitent les points faibles chez certains musulmans (précarité, illettrisme,
maladie, etc.) en voulant les convertir au christianisme ; ce qui met
sérieusement en péril la confiance en l’autre et l’ouverture à lui à travers le
dialogue. Par conséquent, il met l’accent sur le renouvellement qu’a connu
l’action de l’Église qui n’a pas manqué de s’activer à côté des musulmans sur
les plans politique et social notamment (l’affaire palestinienne depuis les
années 60 par exemple). Ce renouvellement aurait mérité des analyses plus
amples de la part du père Borrmans sans oublier l’expérience réussie de
l’Église, qui a su trouver un équilibre - au sein de l’institution - entre la
préservation du patrimoine et l’ouverture sur la société moderne. L’ouverture
de la conscience arabo-musulmane sur l’expérience de l’Église revêt une grande
importance sur plusieurs niveaux, en particulier celui qui ouvre et enrichie la
dialogue.
Le père Borrmans a, à son
tour, pleinement approuvé « la lecture optimiste » du Dr. Ennaïfer
qui a su analyser non seulement les préjugés mais aussi les accusations
superficielles qui entravent le dialogue en suivant une démarche honnête et
scientifique. En même temps, il lance un appel aux musulmans pour les inciter
au dialogue en libérant certains esprits de l’idée du « complot »
chrétien ou de la « conversion chrétienne ». Quant à la partie
consacrée à la personnalité du Christ dans le Coran, le commentateur attire
l’attention sur le fait qu’il a eu des difficultés à comprendre définitivement
les analyses de l’auteur. Mais sans désapprouver pour autant son effort
méritoire à travers lequel il a essayé de présenter une nouvelle lecture de la
personnalité du Christ dans le discours coranique. Le père Borrmans a exprimé
sa fascination devant l’analyse de Dr. Ennaïfer qui a insisté sur les
dimensions universelle et humaine de la mission du Christ : une délivrance
pour l’humanité entière. En revanche, il s’interroge : pourquoi l’auteur
s’est-il contenté des versets coraniques ? N’y a-t-il pas dans les dits du
Prophète Mahomet par exemple ou dans les quatre évangiles d’autres éléments qui
auraient pu contribuer à compléter plusieurs autres aspects de la personnalité
du Christ ? Un véritable dialogue entre musulmans et chrétiens ne doit-il
pas tenir compte de certains chapitres des évangiles afin d’acquérir une plus
vaste connaissance du Christ et de son enseignement ?
Publié le mercredi 17 janvier 2007
Mis à jour le lundi 12 février 2007
par Raja Sakrani