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islamochretien
5 mai 2007

H. Ennaifer & M. Borrmans : L’avenir du dialogue islamo-chrétien

H. Ennaifer & M. Borrmans : L’avenir du dialogue islamo-chrétien

L’Avenir du dialogue islamo-chrétien(مستقبل الحوار الإسلامي-المسيحي), écrit par Dr. Hmida Ennaïfer et le père Maurice Borrmans est publié en arabe par Dar Al-Fikr (collection : Dialogues pour un siècle nouveau), Damas, Syrie, 2005.

-  L’ouvrage comprend deux parties. La première, la plus longue, est consacrée aux réflexions des deux auteurs. Quant à la seconde, elle comprend leurs commentaires et réactions respectives sur le point de vue de « l’autre » exprimé dans la première partie.

-  Dr. Hmida Ennaïfer a choisi de diviser son intervention intitulée « Le dialogue Islamo-chrétien pour un discours religieux contemporain » en trois chapitres : Le premier est consacré au « Dialogue ou aptitude des musulmans aujourd’hui » ; le second, s’est intéressé à l’étude de la question du « Non dialogue et la violence des élites ». Quand au troisième et dernier, il est relatif à « Jésus dans le discours coranique à travers une lecture pour le dialogue ».

-  L’auteur a essayé à travers son premier chapitre de répondre à la question : « Pourquoi faut-il un dialogue entre les musulmans et les chrétiens aujourd’hui ? ». Poser cette question est intimement lié, dans l’esprit de l’auteur, à plusieurs difficultés qui entravent la participation de la partie musulmane, notamment. Il faut remarquer que les musulmans n’étaient pas, souvent, des initiateurs du dialogue. Ils se contentaient plutôt de répondre aux appels chrétiens, plus particulièrement à ceux de l’Église catholique.
Pourquoi donc les musulmans ne sont pas « d’humeur pour le dialogue », pour emprunter l’expression de Hans KÜNG ? Dr. Ennaïfer part à la quête de la réponse en insistant sur plusieurs éléments : Certaines lectures compréhensives chrétiennes ne marginalisent pas le facteur historique et civilisationnel. Car, le dialogue du côté chrétien, a été précédé par cinq cent ans de préparation. De surcroît, le grand danger qui menace l’engagement et la réussite du dialogue (du côté musulman) - selon l’auteur - est cette banalisation terrible des approches relatives aux différences mais aussi aux convergences et croisements dans les relations islamo-chrétiennes.
Le dialogue qui, vu de l’extérieur, n’est qu’une simple relation nouée avec l’autre, a, en réalité, une signification beaucoup plus profonde. Grâce au dialogue, le musulman serait capable d’approfondir sa relation avec soi afin « d’acquérir des matériaux critiques indispensable pour la production des valeurs spirituelles et matérielles adéquates et adaptées ». À ce niveau, l’auteur estime que l’origine du problème remonte aux troubles qui caractérisent le rapport des musulmans au discours coranique lui-même (il donne l’exemple de certains versets mecquois qui manifestent une contradiction apparente : certains font l’éloge des chrétiens. D’autres, au contraire, les critiquent et incitent les musulmans à se méfier d’eux...
Pourtant, Dr Ennaïfer critique avec ferveur l’une des lectures qui ne voient dans ces versets qu’un rejet total du dialogue au motif qu’elle a un caractère confessionnel institutionnel !
Il rappelle, en revanche, une autre lecture qui ne voit dans les critiques et les mises en garde de ces versets qu’une exception au principe de l’ouverture et du dialogue.

Cette critique s’inscrit en réalité dans un cadre plus vaste qui rejette toute lecture idéaliste de l’histoire islamique et de l’avenir de cette religion à travers une formulation idéologique (ainsi par exemple la tendance à critiquer certains versets au détriment de certains autres..). De plus, le Coran lui-même n’est en aucun cas négationniste à l’égard des différences, au contraire il insiste sur le fait que la bienfaisance est la base de toute relation entre musulmans et autres croyants (sourates : La table servie, versets 48 et 69 ; La vache, verset 62, etc.). D’ailleurs, l’exemple de certains chrétiens qui ont cohabités paisiblement avec des musulmans durant le siècle passé (à l’instar de Charles de Foucauld ou Louis Massignon notamment), est un modèle précieux de dialogue et de coexistence, surtout qu’elle s’est faite sans aucune atteinte à la conviction chrétienne.

-  Dans « Le non dialogue et la violence des élites » (Chapitre II), l’auteur critique fermement la tendance d’exclusion chez certains intellectuels qui réduisent le dynamisme culturel dans le conflit entre tradition et modernité. Cette manière de voir a débouché sur la construction d’un discours violent qui tend à la réalisation d’une unité sociale et culturelle à travers la répression au lieu de répondre à ce qu’il appelle « le dynamisme de la concordance ». La dualité entre le leadership politique et la mission religieuse dans la région du Maghreb en est l’exemple typique. Ainsi, le résultat d’une telle conception d’exclusion a aboutit à une tendance défensive qui rejette tout dialogue avec sa propre histoire et avec l’autre. De là vient ce que Dr Ennaïfer appelle « le glissement dangereux » qui s’est reproduit au sein de l’identité même a mené plusieurs musulmans à parler au nom de l’Islam comme s’ils étaient son porte parole officiel sans aucune réflexion. À ce niveau précis apparaît le Groupe de recherche islamo-chrétien (GRIC) comme une expérience exceptionnelle et efficace. En effet, ce groupe s’est engagé pour le dialogue depuis sa fondation en 1977 en adoptant deux éléments fondamentaux : La foi d’une part et l’esprit critique d’autre part. De surcroît, il a toujours tenté de dépasser les simples déclarations de dialogue et de réconciliation entre les religions, pour affronter l’éparpillement dans les rencontres méditerranéennes ainsi que les discours parallèles pour proposer avec audace des thèmes complexes et délicats. L’auteur reprend l’opinion de Robert Caspar (l’un des fondateurs du groupe) selon laquelle les obstacles confessionnels chez les musulmans méritent la compréhension de la partie chrétienne. D’ailleurs les réflexions des chrétiens - eux-mêmes - sur le livre sacré « a évolué à la lumière de plusieurs étapes. Quoi qu’il en soit des divergences profondes relatives à la révélation qui marqueront toujours les conceptions des deux parties ».
Certes, la conception profonde du dialogue (du GRIC), exempte de tout extrémisme contribue sérieusement, à travers la publication de ses travaux dans les milieux intellectuels arabes, à une révision religieuse et historique précieuses. De même, elle aide les deux parties à enrichir l’échange et le dialogue sans porter aucune atteinte à l’authenticité des deux expériences religieuses.

-  Dr. Ennaïfer consacre son troisième et dernier chapitre à la « personnalité du christ dans le discours coranique ». D’abord, il attire l’attention sur le fait que les études islamiques de la deuxième moitié du vingtième siècle ne contiennent aucune nouveauté à ce sujet. Ceci à l’exception près de quelques travaux artistiques et littéraires. Tel est le cas de certains poètes qui reprennent le symbole de la croix ou le sens de la délivrance que représente le Christ (Ainsi les poètes : Mahmoud Darwich, Samih Al-Qâssim, Badr Chaker Al-Sayab, Abdel Wahab Al-Bayati ; le romancier Najib Mahfoud...). Le sujet du Christ est intimement lié, à son avis, à la pensée religieuse islamique dans sa relation avec l’autre. Il est dangereux « parce qu’il touche des questions confessionnelles qui n’ont pas été au jour d’aujourd’hui foncièrement révisées ». Il cite à titre d’exemple : la question de la prophétie et de la révélation ; la langue du Coran et l’histoire ; particularisme, universalité et la signification de la chari’â...Puis il cite plusieurs versets relatifs à Jésus, à son nom le Christ ou à son surnom : fils de Marie (33 fois). Aussi, il a été cité 14 fois en se référant à ses caractéristiques spécifiques. L’auteur détermine trois niveaux selon lesquels le Christ a été mentionné dans le Coran :
-  1- Apparition du Christ sur le plan historique direct
-  2- Naissance, miracles et mort du Christ
-  3- Mention des prophètes antérieurs au Christ et leur représentation -avec lui- comme un cheminement introductif à l’apparition de la mission (prophétique) finale. Dr. Ennaïfer aboutit à une reconstruction fine et fiable de la personnalité du Christ en se basant sur une présence linguistique et signification dense du « mot » et du « dit » relatif à ce personnage dans le Coran. La personnalité du Christ est fondamentale dans le Coran et ce, dans le cadre de la continuité historique du monothéisme. De surcroît, la crucifixion n’est pas exempte de signification religieuse ou spirituelle malgré le fait que le Coran admet l’élévation du Christ et non sa crucifixion (Al-Imran 3, 55) sens qui trouve un écho d’ailleurs dans l’évangile de Jean (6:3-18 : l’élévation au sens du salut face aux ennemis).
-  Le père Maurice Borrmans a choisi l’interrogation suivante comme titre à ses réflexions : « Le dialogue entre musulmans et chrétiens a-t-il de nouvelles perspectives afin de consolider l’entente et la réconciliation entre eux ? ». L’auteur commence par insister sur les bienfaits du dialogue qui entraînent un changement profond dans la mentalité des interlocuteurs dans le sens d’une lecture renouvelée des notions de l’identité religieuse et du respect de la multiplicité spirituelle. Il rappelle, à ce niveau, le parcours du dialogue entre musulmans et chrétiens depuis quarante ans et le rôle pionnier de l’Institut Pontifical pour le dialogue islamo-chrétien, le Conseil des Églises à Genève, l’Institut d’études islamo-chrétiennes rattaché à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth, etc. Néanmoins, l’auteur ne manque pas de mettre l’accent sur l’aspect trop officiel ou superficiel qui a souvent marqué les travaux et les tables rondes de ces différentes institutions, sans oublier le problème des préjugés mutuels qui a entravé pendant longtemps l’avancée du dialogue. Le groupe de recherches islamo-chrétien (GRIC) apparaît, cependant, comme un véritable cadre intellectuel, sérieux et spécialisé qui ne cesse de contribuer à travers ses différents travaux à enrichir le dialogue.
Aussi, l’auteur évoque certaines difficultés sérieuses qui entravent la continuation et la réussite du dialogue actuel, tels que le problème des interdits alimentaires ou les interdictions juridiques des mariages mixtes entre une musulmane et un non musulman, notamment. Toutefois, ses propos relatifs aux droits de chaque partie de fixer ces interdits demeurent ambigus et très discutables...

-  Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Dr Ennaïfer a commenté les propos du père Borrmans en insistant sur certains points intéressants. En fait, les réflexions de ce dernier s’inscrivent dans la philosophie des pères blancs depuis la fondation, c’est-à-dire le maintien du mouvement d’évangélisation. Or, elles la dépassent puisqu’elles sont conscientes de ce que les circonstances historiques exigent, car il convient de réviser le rôle et le mode de fonctionnement du mouvement. Ceci dit, Dr Ennaïfer critique la démarche du père Borrmans qui n’a pas suffisamment approfondi l’articulation entre la tendance évangéliste d’une part et l’ouverture franche sur les musulmans (sans que celle-ci entrave le dialogue) d’autre part. La raison de cette critique tient au fait que la majeure partie des musulmans voit d’un mauvais œil la question de l’évangélisation. Dans le même ordre d’idées, le commentateur estime que la méfiance des musulmans ne s’explique pas par des raisons purement religieuses puisqu’elle se fonde aussi sur la tendance de certains évangélistes qui exploitent les points faibles chez certains musulmans (précarité, illettrisme, maladie, etc.) en voulant les convertir au christianisme ; ce qui met sérieusement en péril la confiance en l’autre et l’ouverture à lui à travers le dialogue. Par conséquent, il met l’accent sur le renouvellement qu’a connu l’action de l’Église qui n’a pas manqué de s’activer à côté des musulmans sur les plans politique et social notamment (l’affaire palestinienne depuis les années 60 par exemple). Ce renouvellement aurait mérité des analyses plus amples de la part du père Borrmans sans oublier l’expérience réussie de l’Église, qui a su trouver un équilibre - au sein de l’institution - entre la préservation du patrimoine et l’ouverture sur la société moderne. L’ouverture de la conscience arabo-musulmane sur l’expérience de l’Église revêt une grande importance sur plusieurs niveaux, en particulier celui qui ouvre et enrichie la dialogue.
-  Le père Borrmans a, à son tour, pleinement approuvé « la lecture optimiste » du Dr. Ennaïfer qui a su analyser non seulement les préjugés mais aussi les accusations superficielles qui entravent le dialogue en suivant une démarche honnête et scientifique. En même temps, il lance un appel aux musulmans pour les inciter au dialogue en libérant certains esprits de l’idée du « complot » chrétien ou de la « conversion chrétienne ». Quant à la partie consacrée à la personnalité du Christ dans le Coran, le commentateur attire l’attention sur le fait qu’il a eu des difficultés à comprendre définitivement les analyses de l’auteur. Mais sans désapprouver pour autant son effort méritoire à travers lequel il a essayé de présenter une nouvelle lecture de la personnalité du Christ dans le discours coranique. Le père Borrmans a exprimé sa fascination devant l’analyse de Dr. Ennaïfer qui a insisté sur les dimensions universelle et humaine de la mission du Christ : une délivrance pour l’humanité entière. En revanche, il s’interroge : pourquoi l’auteur s’est-il contenté des versets coraniques ? N’y a-t-il pas dans les dits du Prophète Mahomet par exemple ou dans les quatre évangiles d’autres éléments qui auraient pu contribuer à compléter plusieurs autres aspects de la personnalité du Christ ? Un véritable dialogue entre musulmans et chrétiens ne doit-il pas tenir compte de certains chapitres des évangiles afin d’acquérir une plus vaste connaissance du Christ et de son enseignement ?

Publié le mercredi 17 janvier 2007
Mis à jour le lundi 12 février 2007

par Raja Sakrani

http://www.gric.asso.fr/article.php3?id_article=113

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